Au revoir Moussa la classe « Moussa, c’est la classe », une expression si souvent employée pour te caractériser. Oui, Moussa, tu étais la classe. Un athlète hors du commun, doublé d’un charisme inégalé.
La première fois que je t’ai rencontré, il y a plus de 20 ans, on s’en allait disputer les championnats de France de cross UNSS aux Mureaux. A l’issue de ta course, médaille d’argent en poche, on avait compris que tu appartenais à une catégorie supérieure, que tu avais le truc, ce petit plus, improbable, tu faisais parti de la trempe des champions, voire même de la trempe des seigneurs.
C’était bien plus que ta capacité à gagner, à triompher, qui nous avait émerveillé, c’était ta noblesse. Tu avais en effet cette grâce en courant, presque féline, qui te faisait voler, tu avais une fluidité dans tes gestes et un relâchement tels que tu ne semblais jamais subir l’effort : tu l’apprivoisais, comme tu savais dompter le terrain et le temps. On pouvait te regarder passer à s’en étourdir. Il n’y avait pas de plus grande régale, de plus grand émerveillement que de voir combien courir, qui était aussi notre engagement, était pour toi comme respirer, c’était vital.
Ta force, c’était ton cœur qui t’a lâchement trahi et c’était ton pied. Ce pied, qui t’a si souvent fait souffrir, te donnait cette possibilité de filer sur les sols sans les éprouver, il t’élevait à juste hauteur, comme si tu jouais une partition parfaite, sans rupture, sans dissonance : ta course était claire, limpide, c’était cela ta classe, ta grande classe. Ton corps gracile, tes os saillants, ta légèreté te conférait un pouvoir sur les éléments et sur le temps.
Tout cela faisait parti d’un héritage, de quelque chose d’inné, que rien ne permettait de jalouser. On appréciait ta force, à te voir courir, on mesurait combien immense était ton talent, mais ce talent, il fallait le soigner, le protéger, le faire grandir.
Et pour cela, tu avais un savoir faire, un professionnalisme, une exigence de tous les instants, et je n’oublierai jamais tes réflexes, tes manies, tes habitudes, après l’effort, comme celle de te changer minutieusement, de la tête au pied, pour finir toujours par te visser, en hiver, un bonnet sur la tête. Toujours, dans mes souvenirs, ce rituel, Moussa et son bonnet.
Moussa, tu incarnais pour les autres la figure tutélaire, le modèle, tu étais un homme prévenant, soucieux, que rien ne pouvait égarer. Tu avais dans l’athlétisme un chemin à suivre ou plutôt, il était acquis que tu avais un chemin à tracer. Alors, fidèle, déterminé, tu l’as suivi avec le plus grand des engagements.
Moussa, sur toutes ces années où tu étais à nos côtés au Coquelicot, tu étais un modèle, une figure d’exception au point d’être comme le grand frère que l’on chérissait tous en silence ; on t’observait et ça nous suffisait.
Car il y avait tes performances, tes premiers titres, tes chronos à nous faire pâlir, il y avait aussi ta force intérieure, ta maturité, ta sérénité qui nous rassuraient souvent, comme aux interclubs sur les relais, rare moment de communion collective dans notre sport – tu y étais fidèle, et il y avait aussi et surtout ce côté secret qui te rendait unique, maître de toi, qui marquait comme une distance, une sorte de réserve, mais sans tenir l’autre à l’écart, c’était déjà là une forme de sagesse que l’on respectait. Jamais, tu n’avais un mot plus haut que l’autre, jamais, tu ne médisais.
On ne pouvait pas échapper à cette énergie que tu dégageais. Tu la diffusais et elle se répandait dans tes courses, dans tes foulées, dans ta discrétion. Beaucoup doivent se souvenir de ces séances de Fartlek au parc Jean-Marc où nos étions nombreux à faire nos débuts et où te voir partir en éclaireur, plein d’énergie, plein de grâce, n’était pas un défi, c’était une leçon, une leçon de grand maître.
Ton parcours dans l’athlétisme était donc fait de rigueur, mais de cette rigueur qui dépasse, qui surpasse le sport, celle que tout homme se doit d’avoir dans ses projets, dans sa vie pour réussir. Les frontières entre la course et la vie sont poreuses, on apprend autant de l’effort que de la vie, c’est une évidence pour ceux qui s’y engagent avec leur tripes, ceux-là mêmes pour qui courir ouvre des portes autres que celles du bien-être, ceux pour qui l’athlétisme en général définit ou plutôt conditionne une partie de leur existence. Aussi, avait-on l’impression à te fréquenter que les deux étaient pour toi indissociables, c’est-à-dire que ta vie, c’était l’effort, que courir c’était pour vivre chaque instant, que courir était une forme d’existence. Aussi, étrangement, par la pire des circonstances, tu es parti, dans un dernier souffle, en courant.
Pas besoin de leçon, ni d’enseignement, tu le diffusais, on le sentait, on l’observait dans tes manières d’être et dans tes rapports aux autres, comme dans cette complicité inébranlable que tu avais avec Jean-Jacques, ton entraîneur de toujours. Il y avait probablement entre vous cette rigueur déterminante, une sorte d’engagement, mutuel, commun, qui confine à la philosophie générale d’avancer de concert.
Tes courses étaient ciblées. Tes duels, tes victoires minutieusement préparés, anticipés dans une sorte de prévoyance. Tu ne courrais que pour frapper fort, d’un coup d’éclat, juste ce qu’il fallait. Rarement d’excès. Tout était fait, j’imagine, vu de loin, avec raison. Tu savais jaillir. On pouvait parfois avoir le regret de te voir perdre des titres, des sélections, car le sort était de temps en temps contre toi, les blessures fréquentes, mais tu ne renonçais pas.
Si tu courais pour gagner, tu courais aussi pour te forger une intégrité. Tu n’as jamais dérivé dans un monde aux tentations douteuses, aux parcours parfois inexplicables. Tu incarnais l’intégrité de notre sport, c’était aussi cela ta classe, ta grande classe. S’il fallait dans une conversation désigner un modèle, une référence, c’était ton nom que l’on citait – oui c’était Moussa la classe.
Aussi, lorsque certaines victoires, certaines places d’honneur qualificatives t’ont échappé, on était nombreux à crier en silence à l’injustice, on n’en revenait pas, on rageait alors que toi, tu prenais tout cela avec philosophie, tu gardais la tête froide, tu te passais la main sur ton crâne rasé en signe de conjuration et tu repartais au travail. Je crois que c’est cela être un champion.
Quand en 2006, sur ta fin de carrière élite, un pied déchaussé, les dents serrées, la volonté, la détermination, ouvertes aux quatre vents, tu as conquis, dans une dernière ligne droite d’anthologie, de la plus belle des manières, ce titre de champion de France de cross court, je crois que nous étions très nombreux à exulter pour toi, à savourer cette victoire comme si c’était la notre.
Etrange comme sentiment dans un sport individuel. On était comme soulagé pour toi car tu n’avais pas eu cette carrière internationale que l’on espérait, que tu méritais mais tu avais eu cette victoire si symbolique. Tu l’avais conquise au nez et à la barbe de tous. Tu avais montré comme un seigneur, peut-être un peu blessé, mais avec toujours la même conviction inébranlable de courir pour exister, se comporte, réagit et gagne sur la vie, sur le destin.
Le très haut niveau, tu l’aurais mérité, tu en avais la classe, mais les forces en présence, si complexes, si ardues, dans ce milieu parfois étrange, de la performance à tout prix, où l’on rogne parfois si vite sur l’essentiel, dissonaient trop avec ta propre philosophie, avec ta vision de la vie. Tu as regardé cela de loin, en y aspirant malgré tout, mais si tu n’as pas conquis de titres internationaux, tu as forgé une image, une figure qui restera bien plus forte que des résultats.
Courir est un acte à soi, individuel comme jamais, c’est l’usage de son corps comme seul élément de jonction entre sa vie et le monde. Mais courir, dans certaines circonstances, c’est aussi plus que cela. Courir, à l’échelle d’un club, comme le Coquelicot, ou comme le FAC Andrézieux, d’un stade comme l’Etivallière, d’une ville comme Saint Etienne, ou d’un département comme la Loire, c’est avant tout une communauté, des femmes et des hommes qui se défient, des femmes et des hommes qui se connaissent, qui se respectent, qui, parfois, se provoquent, se maltraitent, mais qui, par une opération un peu étrange, à force de se fréquenter, de s’entraîner ensemble, de partager des codes, des valeurs propres au sport mais à la vie en général, en raison d’une énergie commune à se maintenir dedans, quoiqu’il arrive, réussissent alors à créer une entente, des liens, au fond indéfectibles.
On le voit à travers ton départ Moussa. Tous ces messages échangés pour savoir, pour comprendre, pour attendre, ces derniers jours. On était là derrière toi. Tu nous as montré combien nombreux sont ceux qui partagent à travers toi une histoire, une mémoire de ce sport, de ce club, de ces clubs, de cette ambiance, sans nul pareil. Te voir partir, c’est donc pour nous tous un arrachement autant que la mise en valeur de ce partage qu’il existe dans ce milieu, en parallèle des performances qui n’en sont pas moins un ciment. Sans elles, rien ne serait pareil. Mais toi, tu as su t’appuyer dessus et les dépasser.
Moussa, la tristesse immense que ton départ dégage chez ceux qui t’ont côtoyé dans le monde de l’athlétisme, du demi-fond, ne peut avoir d’égale que celle de ta famille qui perd un être hors du commun. Tu as pris une nouvelle fois cette avance que tu avais souvent en courant, mais celle-ci nous laisse la plus pénible des douleurs.
Moussa, quand je pense à toi, je pense à Jean-Jacques, à Jean-Marc, à Guy, à Bubu, ces entraîneurs près de nous, à nos débuts, je pense à Chérif, je pense à Nabil, un de tes fidèles partenaires, je pense à Greg, ton pote du coin, je pense à Fatima, je pense à ton club actuel, je pense à Eric, à Thibault, et je pense à bien d’autres coureurs, qui ont construit, non pas une mais des périodes qui nous appartiennent à tous, chacune à leur manière, à tes amis, à tes proches, à ta famille, à ta femme, à tes deux filles, Louise et Kenza, à tous ceux qui t’appréciaient.
Moussa, tu vas nous manquer – à jamais et je crois qu’à tout athlète à qui l’on vole le souffle en courant, s’en va ainsi, subitement, reposer dans une sorte d’éternité de la dernière course parfaite.
Franck E.
L'ensemble des dirigeants, entraîneurs et athlètes du COQUELICOT42 partage son émotion.